BECHOL LASHON Français – Au dîner du CRIF, Manuel Valls associe antisionisme et antisémitisme

le mondede Cécile Chambraud*

Pour son dernier diner annuel à la tète du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), Roger Cukierman aurait pu rêver d’un contexte moins sombre. Devant les quelque 80o personnes qui se pressaient, lundi 7 mars, dans un grand hôtel parisien, devant une dizaine de ministres et presque autant de candidats à la primaire de l’opposition, le président du CRIF, qui achèvera son troisième mandat en mai, a décrit la situation actuelle des juifs en France : «Nous vivons une vie retranchée. Nous avons le sentiment angoissant d’être devenus des citoyens de deuxième zone. Cet ostracisme isole et traumatise. Mais est-ce la faute des Français juifs si ce communautarisme progresse?» Ainsi, selon Roger Cukierman, seuls un tiers des enfants juifs seraient aujourd’hui scolarisés dans le secteur public, de nombreux établissements n’étant plus sûrs pour eux : «Nos enfants y sont insultés ou battus.» Leurs familles préfèrent les mettre dans le privé, juif ou catholique. Le président du CRIF a rappelé les chiffres: les actes antisémites représentent la moitié des actes xénophobes commis chaque année en France pour «moins de % de la population ». Ces dernières années ont été ponctuées par les assassinats commis à l’école juive de Toulouse par Mohamed Merah, en 2012, et ceux de quatre clients de l’Hyper Cacher, tués à Paris par Amedy Coulibaly en janvier 2015. C’est Manuel Valls qui lui a répondu, au nom de l’exécutif. François Hollande, qui devait initialement être présent, a finalement été retenu à Bruxelles par le sommet entre l’Union européenne et la Turquie sur la crise des réfugiés. «Oui, les juifs de France, trop souvent, ont peur, a convenu le premier ministre. C’est une réalité et cette réalité, nous ne l’acceptons pas. » Sortant de son texte, qui était aussi celui du président de la République, le chef du gouvernement a répondu à une autre préoccupation développée par M. Cukierman, à savoir «la grille de lecture déformante et injuste» appliquée selon lui à Israël, pour faire de ce pays «le juif des nations, l’unique cible au monde d’un processus de dé-légitimation». M.Valls a critiqué à son tour «la haine d’Israël». «Nous savons qu’il y a un antisémitisme ancien et un antisémitisme nouveau, a affirmé le premier ministre. Un antisémitisme d’extrême droite mais aussi un antisémitisme d’extrême gauche. Il y a l’antisémitisme des beaux quartiers, il y a aussi l’antisémitisme dans les quartiers populaires d’une jeunesse radicalisée. Et puis (…) ily a l’antisionisme, c’est-à-dire tout simplement le synonyme de l’antisémitisme et de la haine d’Israël» Le chef du gouvernement a, au passage, tressé des lauriers à Anouar Kbibech, président du Conseil français du culte musulman (CFCM) depuis juin 2015 et présent lundi soir. L’an passé, les représentants du CFCM, alors présidé par Dalil Boubakeur, avaient renoncé à se rendre au diner du CRIF après que Roger Cukierman eut attribué « toutes les violences» antisémites aux «jeunes musulmans ». «Petit à petit, pas à pas, la République et l’islam construisent un chemin fidèle aux valeurs [del lais-cité, tolérance et liberté», a assuré Manuel Valls. Dalil Boubakeur, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, avait, cette fois aussi, décidé de ne pas participer au diner du CRIF.

*Le Monde, 9/3/2016