BECHOL LASHON Français – Remonter le temps au nouveau Musée du Judaïsme Italien de Ferrare

meisPar Rossella Tercatin*

Il y a près de 2 000 ans, une jeune fille prénommée Aster vivait à Jérusalem. Elle n’était qu’une enfant quand la ville est tombée aux mains des Romains et qu’elle a été déportée vers Rome en tant qu’esclave.*

“Claudia Aster, captiva ierosolimitana”, ou, “Claudia Aster, prisonnière de Jérusalem”, peut-on lire sur sa pierre funéraire, l’un des 200 objets faisant partie de l’exposition « Jews, An Italian Story: The First Thousand Years » (Les Juifs, une histoire italienne : les mille premières années). C’est la première pièce d’une exposition permanente au Museo dell’Ebraismo Italiano e della Shoah (Musée italien du Judaïsme et de la Shoah), ou MEIS, inauguré il y a quelques mois dans la ville de Ferrara, au nord de l’Italie.

L’histoire d’Aster, dans la section sur les Juifs et Rome, est relatée aux côtés de celles des milliers de Juifs qui ont perdu leur patrie et leur liberté en Terre Sainte, contraints de trouver une nouvelle identité dans la ville éternelle.

Les visiteurs apprennent sa mort en entrant dans une pièce étroite, qui s’ouvre sur une installation animée : un mur en pierre de Jérusalem doré brûle, sous un ciel étoilé.

Les visiteurs traversent alors un passage qui contient des décorations de l’Arche de Titus, le symbole de la défaite juive, et se retrouvent devant une carte du Colisée, un amphithéâtre monumental construit en exploitant les trésors pillés à Jérusalem et en faisant travailler les esclaves juifs.

La directrice du MEIS, Simonetta Della Seta affirme que les pièces sont conçues pour donner un sentiment « d’immersion ».

C’est une bonne description de la visite du musée : un voyage à travers le temps et l’espace, qui parvient à faire un travail de sensibilisation. Dans le récit du musée, si l’histoire du peuple juif a commencé au Moyen Orient, elle se poursuit en Italie.

Della Seta, la soixantaine, est une ancienne universitaire, correspondante pour le Moyen Orient et attachée culturelle de l’ambassade d’Italie à Tel Aviv. Elle a été nommée directrice du musée en 2016.

Della Seta a rencontré le Times of Israel durant un jour de juillet torride et humide, typique de la région. Mais malgré les conditions climatiques, la beauté historique de la ville irradiait, méritant amplement la description que fait d’elle l’UNESCO.

Dans une ville chargée d’histoire, le bâtiment qui abrite le MEIS a sa propre histoire à raconter. Il s’agit d’une ancienne prison dans laquelle les fascistes enfermaient les prisonniers juifs pendant la Shoah, avant de les envoyer vers les camps de la mort. Il y a quelques années, la ville de Ferrara a libéré l’immeuble, et il a été décidé qu’au regard de son histoire, c’était le lieu idéal pour le musée.

Le centre-ville n’est qu’à quelques minutes, avec sa place de la mairie et sa cathédrale. L’ancien ghetto est situé quelques rues plus loin, avec ses briques et ses immeubles colorés. Les structures mettent en avant les corniches en terre cuite et les fleurs aux fenêtres – une image d’Épinal parfaite d’un village italien.

Aujourd’hui, la communauté juive de Ferrara compte quelques dizaines de personnes, bien qu’à son apogée, dans les années 1800, la ville abritait une population juive de 2 000 personnes, selon le démographe Sergio Della Pergola.

L’un des immeubles, qui date du 15e ou 17e siècle et qui abrite trois des synagogues de la ville, est actuellement en travaux après le séisme de 2012.

« Ferrara a eu une présence juive continue ces 1 000 dernières années », a raconté Della Seta, mettant en lumière la riche histoire et le patrimoine à l’origine du choix de l’emplacement du musée.

Le musée de 47 millions d’euros a été créé grâce à une nouvelle loi, et les frais ont été pris en charge dans leur quasi-totalité par le ministère du Patrimoine culturel.

Au MEIS, en plus de l’exposition « Les Juifs, une histoire italienne », les visiteurs peuvent se rendre au Giardino delle Domande (le Jardin des Questions), un labyrinthe en extérieur dans lequel on trouve la sortie en répondant à des questions sur les lois de la casheroute.

Le reste du site est encore en construction. Le complexe final, qui devrait ouvrir dans trois ans, comprendra cinq nouveaux immeubles en plus des deux existants, et abritera une bibliothèque, un auditorium, un restaurant casher, un café et un musée pour enfants.

« L’objectif est de tout terminer d’ici 2021 », a déclaré Della Seta, soulignant à quel point il était important de commencer par travailler sur le contenu.

« Nous devions nous demander comment créer notre exposition, étant donné que nous n’avons pas de collection ni ne possédons d’artefacts », a expliqué Della Seta.

« En ce qui me concerne, cela a été un avantage, parce que nous nous sommes focalisés sur la construction d’un récit, d’un parcours, et ce n’est qu’après que nous avons travaillé à trouver des objets adaptés, que nous avons obtenus grâce à des prêts de musées de toute l’Italie et du monde entier », a-t-elle dit.

Pièce après pièce, le récit se façonne autour de cartes, d’objets, d’extraits de textes juifs et non-juifs, et d’installations multimédia qui présentent des vidéos d’historiens et d’experts, notamment les trois conservateurs d’art Anna Foa, Giancarlo Lacerenza, et Daniele Jalla.

Les visiteurs peuvent croiser le parcours d’Abraham, la période romaine, la relation entre les Juifs et les premiers chrétiens, des personnalités telles que Obadiah le Prosélyte, un jeune homme d’église des Pouilles qui s’est converti au judaïsme, et qui est l’un des auteurs des plus anciennes transcriptions de la liturgie jamais découvertes, ou Sabbataï Donnolo, kabbaliste et scientifique.

La richesse de la vie juive dans l’Empire romain est véhiculée par une reproduction frappante de l’une des plus belles pièces des catacombes juives de Rome. Onze pierres funéraires sont exposées pour marquer l’existence d’au moins onze communautés juives actives dans la ville.

Les pierres funéraires romaines, sur lesquelles sont gravées des symboles comme des menorah ou des cédrats, comportent des inscriptions en grec. C’était au sud de l’Italie, là où la langue hébraïque a connu un renouveau et qui a été l’un des lieux de l’âge d’or du judaïsme.

Jusqu’à l’expulsion des Juifs d’Espagne, qui a débuté en 1492, des communautés florissantes prospéraient en Campanie, en Sicile, dans les Pouilles, en Calabre, et la culture, la science et le commerce prospérait avec eux.

A son apogée peu après l’expulsion des Juifs d’Espagne, la communauté juive italienne comptait 50 000 membres. Mais plus pour longtemps. Peu après l’influx de milliers de Juifs d’Espagne, la communauté juive du sud de l’Italie a également été contrainte de fuir, selon le démographe Della Pergola.

Le voyageur juif Beniamino da Tudela, plus connu sous son nom hébraïque a documenté son voyage depuis l’Espagne vers la Terre sainte entre 1159 et 1173 dans son livre Sefer Massaot (Le livre des voyages).

« A Salerne, où les Chrétiens ont une école de médecine, près de 600 Juifs y vivent », écrivait-il.

Au musée, les descriptions de Metudela des nombreuses communautés italiennes qu’il a visitées sont entrelacées dans un diaporama animé avec des dessins engageants de l’illustrateur juif italien Emanuele Luzzati (1921-2007), conduisant le public dans une danse métaphorique à travers la péninsule italienne.

La portée de ce que la présence juive a signifié pour le pays est illustrée par une carte qui illustre les centaines de communautés juives qui ont existé en Italie. Il n’y a aucune région, et presque aucune province, qui n’ait connu une communauté juive à un moment donné au cours de l’histoire de l’Italie.

Aujourd’hui, il y a environ 29 000 Juifs vivant en Italie – environ 16 000 de moins que les 45 000 qui habitaient la péninsule avant la Shoah, a précisé Della Pergola.

« Après ma nomination, j’ai passé quelques mois à poser des questions aux gens : Quelle est la signification d’un Musée national public sur les Juifs en Italie ? Pourquoi et comment cela peut-il être pertinent pour la société italienne dans son ensemble ? » se souvient Della Seta.

« Certaines réponses que j’ai reçues m’ont marquée. Par exemple, les Juifs ont été les premiers à vivre des identités multiples, les premiers à mettre tellement l’accent sur la culture, qu’ils sont une minorité qui a vécu pendant 2 000 ans au sein d’une majorité », a-t-elle dit.

« Selon moi, la diffusion des connaissances sur le judaïsme et sur la vie et l’histoire juive italienne est notre objectif premier, mais la promotion d’une identité expérimentée qui a quelque chose à enseigner sur les défis du monde contemporain fait aussi partie de ce que nous faisons. Ce n’est pas un hasard si le président de la République italienne Sergio Mattarella a assisté à notre inauguration », a déclaré Della Seta.

Jusqu’à présent, le MEIS a été visité par 15 000 personnes – d’Italie, mais aussi d’Europe et d’Israël. Le musée a signé un accord de coopération avec le ministère de l’Éducation pour promouvoir les visites des écoles.

La prochaine section est prévue pour mars 2019 et se concentrera sur la Renaissance. Ensuite, il est prévu de couvrir l’époque des ghettos, l’ère de l’émancipation, les XVIIIe et XIXe siècles et la vie contemporaine.

«Nous travaillons déjà sur la partie concernant la Shoah », a déclaré Della Seta.

« Notre objectif est de créer un lieu consacré non seulement à l’enseignement général de la Shoah en Italie, mais surtout à la prise en compte de l’histoire et des questions qui n’ont pas été suffisamment traitées : Qui sont les Italiens qui ont remplacé les Juifs congédiés de leur travail ? Qui sont ceux qui ont profité de la situation ? », a-t-elle ajouté.

« Je me considère très privilégiée d’avoir la possibilité de contribuer à façonner une institution culturelle aussi grande et à diffuser des connaissances qui, à mon avis, est la meilleure arme contre l’antisémitisme », a conclu Della Seta.

« Pour moi, ce travail est une mission».

*Times of Israel Français 30.07.18