BECHOL LASHON Français – “C’est l’arme absolue de rire, c’est l’arme de la démocratie”
“Comment vas-tu, Philippe?”, c’est tout simplement ce que Nicolas Demorand a demandé à Philippe Val, ancien directeur de Charlie Hebdo, au micro de France Inter à quelques heures de l’attaque à la rédaction du journal satirique à Paris. Val a rendu en larmes un vibrant hommage à ses camarades et collègues de Charlie Hebdo, avec un appel bouleversant à continuer à rire pour que les valeurs de la liberté et de la démocratie survivent. Ci-dessous le texte intégral. (Francesca Matalon)
“Je vais très mal. Mais c’est normal, non? J’ai perdu tous mes amis aujourd’hui. C’étaient des gens tellement vivants, qui avaient tellement à cœur de faire plaisir aux gens, de les faire rire, qui avaient à cœur de leur donner des idées généreuses. C’étaient des gens très bons. Les meilleurs d’entre nous, forcement, comme tous les gens qui font rire, comme tous les gens qui sont pour la liberté, comme tous les gens qui sont pour qu’on puisse aller et venir librement, en sécurité. Ils ont été assassinés, c’est une boucherie épouvantable. Il faut pas laisser le silence s’installer. Il faut vraiment nous aider. Maintenant il faut nous aider. Il faut qu’on soit groupés contre cette horreur. La terreur ne doit pas empêcher la joie de vivre, la liberté d’expression… la démocratie, c’est tout de même ça qui est en jeu. C’est cette espèce de fraternité qui fait qu’on peut vivre. Il ne faut pas laisser ça, c’est un acte de guerre. Peut-être que ça serait bien si demain les journaux s’appelaient Charlie Hebdo, si on titrait tous Charlie Hebdo, si toute la France titrait Charlie Hebdo. Ça montrerait qu’on n’est pas d’accord avec ça, que jamais on acceptera ça, que jamais on laissera le rire s’éteindre, jamais on laissera la liberté s’éteindre. Il ne faut pas laisser ça. C’étaient des gens absolument merveilleux. Cabu c’était un génie, un génie de la bonté, du talent. Wolinski, Charb, tous ces gens, tous ces gens, je ne peux pas les citer tous. Ils sont tous morts, mon ami Bernard Maris, tous. On ne peut pas laisser ça, on doit faire front, on doit rester très très solidaires. C’étaient pas des gens méchants, c’étaient des gens qui voulaient juste qu’on vive heureux, c’étaient des gens qui voulaient que l’humour ait sa place dans nos vies. C’est tout! C’est que ça, et c’est ça qui a été assassiné. C’est juste pas supportable. Il faut qu’on bouge, et je m’excuse de parler de ça, mais peut-être que les médias n’ont été pas à la hauteur pendant toutes ces années sur cette radicalisation. Parce que beaucoup de gens qui sont musulmans aujourd’hui doivent être catastrophés pas ça. Ils sont en danger, ils sont en danger eux aussi. On a pas assez parlé de cette montée du fondamentalisme en France, on a pas assez parlé de ça, on a pas assez tiré la sonnette d’alarme. On a fait ce qu’on a pu. On a souvent été bien seuls, aujourd’hui je suis tout seul pratiquement. Tous mes amis sont partis, et c’était pas pour une mauvaise cause, c’était juste pour qu’on puisse vivre, et que les enfants puissent aller et venir, qu’ils puissent dire des conneries sans danger. Voilà, c’est horrible ce qui arrive. C’est horrible, il y aura un avant et un après, notre pays ne sera plus le même. On a exterminé une certaine façon de faire du journalisme, on a exterminé tous les gens qui étaient capables de faire rire avec des idées graves. C’est un deuil épouvantable qui s’abat sur nous, mais il ne faut pas que ça soit le silence qui gagne. Elizabeth Badinter avait dit ça au procès des caricatures [en 2007, alors que Val était encore directeur de Charlie Hebdo]:, elle avait dit: “s’ils sont condamnés c’est le silence qui s’abatera sur nous”. Et bien aujourd’hui moins que jamais il faut qu’il s’abatte sur nous: il faut parler, il faut dire, il faut dire ce qu’on ressent, il faut dire ce qu’on pense. Je n’ai pas la foi, c’est dommage, j’aimerais peut-être avoir la foi aujourd’hui, parce que si je l’avais je leur dirais combien je les aime, combien ils ont été indispensables à ma vie, combien ils sont indispensables aussi à tous les autres, ils sont indispensables à tous les gens qui ont besoin de la liberté pour vivre. Ils faisaient rire, ils étaient très joyeux, on a tellement ri. Il faut continuer à rire, c’est difficile aujourd’hui, c’est très difficile. Mais c’est l’arme absolue le rire, c’est l’arme de la fraternité. Il faut laisser le rire, il faut laisser les gens ridiculiser les salopards. C’est par ce moyen-là, il faut qu’on se tienne, il faut vraiment qu’on soit tous ensemble, il faut pas se lâcher là. C’est très grave ce qui vient d’arriver. Il faut qu’il y ait beaucoup de monde [au rassemblement à Place de la République], il faut qu’il y ait tout le monde. On ne peut pas vivre dans ce danger-là, on ne peut pas avoir peur, on ne peut pas vivre dans la peur”.