BECHOL LASHON Français – Inspiration poétique

matalon1Francesca Matalon

J’ai fini par arriver le long de la mer, sur un boulevard. Il y avait une vingtaine de bateaux en rade, avec leurs lumières, qui dansaient, auréolés d’un fameux temps havrais, pluie, vent, tempête, toute une moitié du baromètre dispersée dans l’atmosphère. Quand je suis parti de cette ville, il y a plus de vingt-cinq ans, j’étais venu, tout seul comme un homme, regarder une dernière fois la mer. Ce jour-là comme aujourd’hui, il pleuvait, ventait, tempêtait. Et je trouvais ça très poétique ; c’est étonnant que je n’aie pas écrit un poème sur-le-champ, sans doute que je n’ai pas pu ; je croyais alors que j’allais devenir poète à Paris, mais ça n’est arrivé que bien des années après (que je le croie). A cette époque, je ne doute pas qu’en me promenant ainsi sous la pluie, le long de la mer, je pensais que le poème allait venir ; c’est ce qu’on appelle la pureté de l’adolescence, l’époque où l’on est plein de mépris pour la littérature. Maintenant, après des années de littérature (pratiquée d’une façon publique) je ne me baladais pas, en ce jour de novembre pluvieux, pour y chercher un sujet de poème ou de nouvelle ou même de roman. Que j’écrive maintenant à ce propos, pourquoi pas, mais ça n’était vraiment pas dans mes intentions. S’il fallait que j’écrive à propos de tout. Je grince des dents quand des gens pensent que je fais ceci ou cela ou que je vais voir ceci ou cela, pour en faire ensuite un morceau de roman. Quelle idée de profane. (Raymond Queneau, Le café de la France)