Politique – La France malade de l’antisémitisme
Les attaques au domicile continuent. On profane une seconde fois la stèle à la mémoire d’Ilan Halimi. Internet se déchaîne. Quarante pour cent des actes racistes visent les juifs qui représentent 1 % de la population. Mais, dans les beaux quartiers et les vastes appartements des consciences gauchisto-chic, longtemps on n’a rien voulu savoir. Rien voulu entendre des cibles quotidiennes : les juifs de banlieue, ceux des quartiers populaires. Au nord de Paris, de l’autre côté du périph, et ailleurs, de Lyon à Marseille, dans tous ces espaces décomposés. Petits commerçants, employés, forains, vendeuses, médecins généralistes, ils étaient installés là depuis des décennies. Victimes des agressions antisémites dès l’aube des années 2000, leur souffrance et leur peur ont résonné dans l’indifférence. L’auteur de ces lignes se souvient de la première enquête de Marianne sur la montée de l’antisémitisme, réalisée fin août 2001 dans la Seine- Saint-Denis (no 230). J’entrais dans un appartement brûlé, chez une femme de 50 ans dévastée par lamarchés. Les enfants portaient la kippa, une famille de juifs visibles. Plus de 700 agressions s’étaient produites en France en moins d’un an. Nous écrivions : « La cité de Mme A. Une étuve d’ insécurité. Quand ça vole, quand ça joue de l’insulte et du cutter, tout le monde trinque. Mais, dans le flot des victimes impersonnelles, il y a désormais des victimes personnalisées. Sur la déstructuration psychologique des agresseurs se greffe la structure d’un alibi idéologique : “Juifs, on va vous faire ce que vous faites aux Palestiniens !” Le slogan déguise la délinquance en combat. Il héroïse le voyou et exonère la lâcheté. » mera h a fai t des petits… Depuis, la haine a flambé de plus belle, attisée par chaque nouvel incendie. Merah a fait des petits, et Fofana, et Coulibaly. Le pogrom s’engraisse du pogrom, on sait ça depuis la nuit juive des temps. Seulement, tout au long de cette affreuse décennie, le gratin politico-médiatique avait ses opprimés à défendre, et ce n’étaient pas les mêmes. En février 2011, soit dix ans après notre première enquête (nous avonscontinué régulièrement, de Paris à Villeurbanne, à Marseille, et en septembre dernier à Livry-Gargan) et cinq ans après l’enlèvement, la torture et l’assassinat d’Ilan Halimi au motif, disent ses bourreaux, que « les juifs sont riches », sort un libelle aux éditions La Fabrique. Ironiquement intitulé l’Antisémitisme partout, ce pamphlet explique précisément que l’antisémitisme n’est nulle part. Le texte est cosigné par le philosophe Alain Badiou et Eric Hazan, fondateur de La Fabrique. Deux figures de l’ultragauche, hantées par la détestation d’Israël. Badiou, ancienmaoïste, s’est livré en 2006 à différentes interprétations jargonnantes et délirantes sur « les portées du mot juif » d’où il ressort qu’« Israël est la forme extérieure, de nature coloniale, qu’a prise la sacralisation du nom des juifs ». Eric Hazan, lui, publiera en février 2016 le livre malodorant de Houria Bouteldja, l’égérie antisémite du Parti des indigènes de la République, la « camarade » de Danièle Obono, députée de La France insoumise. Des précisions importantes, car tous ces relais, d’une génération à l’autre, composent une inquiétante galaxie. Le fait qu’Hazan soit juif et serve ainsi de caution aggrave encore l’affaire, comme nous l’avons vu la semaine dernière autour de Tariq Ramadan, avec Alain Gresh et Edgar Morin. Que dit l’ouvrage venimeux des Badiou-Hazan ? « Quand on fait état d’une montée de l’antisémitisme, c’est pour stigmatiser la jeunesse des quartiers populaires, les Arabes et les Noirs, qui ne sont pas antisémites : ils sont solidaires des Palestiniens opprimés. » Tout est dit de ce qui tisse le malheur juif au sein du malheur français. Les juifs ne peuvent plus être des victimes. Ils l’ont été naguère, stop, circulez. La place est désormais occupée par les ex-colonisés, les « racisés » pour parler comme Bouteldja, Rokhaya Diallo et Obono. Il importe que cette place leur revienne, car une partie de la gauche, pas seulement ultra, compte sur eux. Dans la mémoire militante sélective, la nostalgie des luttes pro-FLN s’est recyclée en solidarité Palestine Gaza. Elle compte aussi sur « racisés », « indigènes » et « ex-colonisés » (termes infâmes détachant nos jeunes compatriotes de la République) dans l’isoloir, en espérant qu’ils préféreront le bulletin de vote aux caillassages de flics, au trafic de drogue et au terrorisme. Un cynique et un mauvais calcul. « Les juifs de France se sentent abandonnés, sacrifiés sur l’autel de la paix civile et du vivre-ensemble », nous résume l’historien Georges Bensoussan (lire l’entretien, p. 20). « Sion avait décrit et regardé en face ce qui se passait dès 2001, on n’en serait pas là ! » constate amèrement Michel Serfaty, rabbin de Ris-Orangis et président de l’Amitié judéo-musulmane de France. Avec son bus de la tolérance, il a pourtant tenté l’impossible en sillonnant « le brasier des banlieues » pour un hypothétique rapprochement. « Dans de nombreux signalements, la police accuse encore les juifs d’ être paranoïaques ! » relève le Dr Marc Djebali, vice-président de la communauté juive de Sarcelles. Chargé du logement au Fonds social juif unifié (FSJU), il se démène pour tenter de recaser des juifs contraints de déménager en raison des menaces. « Nous avons en ce moment quelqu’un qui interpelle toutes les institutions, car sa mère habite dans un voisinage salafiste.On la menace, on vient déféquer devant sa porte… » Il note aussi des demandes urgentes, mais très difficiles à satisfaire par les bailleurs sociaux, de jeunes couples pratiquants, avec de nombreux enfants, qui veulent quitter le XIXe arrondissement parisien où l’angélique « vivre-ensemble » se révèle un leurre total. Sarcelles, qui reste l’une des rares communes de banlieue où les juifs se sentent relativement en sécurité, est très prisée. « Les attaques des manifestants propalestiniens en juillet 2014 n’ont pas affaibli la vitalité de la communauté », souligne Marc Djebali. Enrevanche, La Courneuve, Drancy, Saint-Denis, se vident. « Il y a vingt ans, les offices de Kippour au Blanc- Mesnil rassemblaient un millier de personnes. Aujourd’hui, il n’y a plus que 60 personnes à la synagogue… » remarque Sammy Ghozlan, président du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA) qui enregistre toutes les plaintes et assure le soutien juridique des victimes. On constate que l’exode des juifs est le plus spectaculaire dans les communes dont les maires – communistes et verts – soutiennent et amplifient l’activisme propalestinien. Comme ces banderolesdéployées sur les mairies de Stains et d’Aubervilliers en hommage à Marwan Barghouti, leader de la seconde intifada, incarcéré en Israël pour terrorisme, mais élevé à la dignité de citoyen d’honneur au titre de « Mandela palestinien ». Ou ces voeux en faveur du boycott des produits de Cisjordanie et du soutien global à la campagne anti-Israël du BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions). A Ivry, le voeu avait été adopté sur proposition d’un élu, Atef Rhouma, qui s’était illustré en trouvant des excuses aux auteurs des attentats du 13 novembre 2015 (Marianne no 1023). tra gédie nationale Cette solidarité municipale a évidemment des arrière-pensées électoralistes. Cela fait très longtemps que la Palestine a cessé d’être une cause pour devenir un alibi qui porte à leur incandescence les passions antijuives. Dans une tribune courageuse (lemonde.fr) le producteur tunisien Saïd Ben Saïd, viré du jury des Journées cinématographiques de Carthage parce qu’il produit le prochain film du réalisateur israélien Nadav Lapid, dévoile la dure vérité de sa culture natale. « Nul ne peut nier le malheur du peuple palestinien, mais il faut bien admettre que le monde arabe est dans sa majorité antisémite et cette haine des juifs a redoublé d’intensité et de profondeur non pas avec le conflit israéloarabe, mais avec la puissance d’une certaine vision de l’ islam, écrit-il, évoquant un antisémitisme qui fonctionne sur le même registre que le vieil antisémitisme européen. » On retrouve cette haine au coeur des trois plaies qui défigurent la France : l’islamisme, la désintégration, le naufrage de l’éducation. Loin d’être une tragédie communautaire, l’antisémitisme est une tragédie nationale. Ceux qui veulent faire taire les juifs, ou trouvent à leurs persécuteurs l’excuse de la cause palestinienne, collaborent au délitement de notre patrie.
*Marianne, 10 au 16 novembre 2017