BECHOL LASHON Français – Sur les épidémies et les complots

anna foaAnna Foa*

Toutes les grandes épidémies de l’histoire se sont toujours accompagnées de l’idée qu’à l’origine du mal, il y aurait une volonté manifeste de l’homme visant à les propager et à les transmettre. On sait bien que les Juifs ont été blâmés pour avoir disséminé la peste noire en 1348 et qu’ils ont subi des pogroms et la destruction de communautés toutes entières. Cependant, ils n’ont pas été les seules victimes de la terreur infligée par les épidémies. Par exemple, la propagation de la lèpre au Moyen Âge n’avait pas été attribuée aux Juifs, même s’il y avait des théories dans ce sens-là, mais à la malveillance de ceux qui en étaient atteints. La syphilis, qui a ravagé l’Europe à la fin du XVe siècle sous une forme virulente et épidémique, fut elle-même attribuée aux Juifs, ou plutôt aux marranes d’origine espagnole, sans pour autant entraîner à des pogroms et de la violence. Au XVIIe s., comme nous le raconte Alessandro Manzoni, la peste était attribuée aux untori (épandeurs), sans aucune distinction d’ethnie ou de nationalité, tandis qu’on avait inculpé les gouvernements, qui voulaient prétendument se débarrasser des pauvres, pour l’épidémie de choléra au XIXe s. De même pour la grippe espagnole, qui a éclaté à la fin de la Première Guerre mondiale : un moyen élaboré par les gouvernements d’éliminer les pauvres gens à la place de la guerre. Qu’en est-il aujourd’hui ? Est-ce qu’on est assez judicieux et sages pour ne pas tomber dans le piège des théories conspirationnistes ? On l’espère. Ici et là, cependant, ces théories se répandent sur les réseaux sociaux. On ne parle pas trop de Juifs, mais de complots des riches contre les pauvres. On commence à parler de plus en plus des intérêts des entreprises pharmaceutiques, sur la voie tracée par les épidémies de choléra et de grippe espagnole. Même dans un monde où les gens discutent en quelque sorte de la courbe épidémique et des modes de contamination comme s’ils étaient diplômés en Médecine, c’est signe que les mythes et les fausses nouvelles continuent à jouer un rôle primordial dans l’esprit des gens.

Traduit par Mattia Stefani, étudiants de l’École Supérieure pour les Interprètes et les Traducteurs de Trieste et stagiaires dans le bureau du journal de l’Union des communautés juives italiennes.