La cuisine “à la giudia”, à Guetta le National Jewish Book Award

Écrivaine culinaire et photographe, Benedetta Jasmine Guetta fait partie des vainqueurs de la dernière édition du National Jewish Book Award avec son Cooking Alla Giudia. A Celebration of the Jewish Food of Italy, son premier livre de cuisine en anglais. “Je voulais préparer les biscuits de Pesach, j’ai commencé à bavarder avec une dame, puis avec une autre, et tout à coup, j’ai eu peur que les recettes ne soient pas transmises. À Venise, par exemple, peu de gens en font, une fois par an. Là, j’ai commencé à penser que les recettes pourraient être perdues : dans quelques générations, elles pourraient être perdues. Il est très important de garder une trace de comment ils devraient être, en les photographiant par exemple”, racontait-elle à Pagine Ebraiche in cette interview, présentant les thèmes et les difficultés de son travail. Un livre qui confirme cette reconnaissance, qui également laisse une marque au niveau international.

Par Ada Treves

On pourrait dire que tout a commencé par une question : “Mais le labné est-il du fromage ou du yaourt ?”. Benedetta Jasmine Guetta et Manuel Kanah, qui dirigent le blog culinaire du même nom, répondent qu’il s’agit d’un fromage obtenu à partir de yaourt. Le labné, d’où le blog tire son nom, Labna, est un fromage acide traditionnel, dont la recette – très simple – est transmise de génération en génération. “C’est un plat typiquement moyen-oriental : je l’ai trouvé en Turquie comme en Israël – peut-être sous des noms différents, mais le plat est le même”.
Les plats traditionnels et la transmission de génération en génération : telles sont les idées qui ont guidé le chemin parcouru par Benedetta Jasmine Guetta, de la fondation du blog en 2009 à la publication aux États-Unis d’un livre, évidemment de cuisine, qui connaît un succès considérable. Il a été célébré par des personnages tels que Martha Stewart et Nigella Lawson. Il y a la passion pour la cuisine, pour laquelle elle a choisi de quitter un travail plus “traditionnel”, la récupération des traditions, la volonté de sauver des recettes anciennes et le goût pour les saveurs du Moyen-Orient, traits incontournables d’un blog dont le nom, en réalité, a été choisi presque pour le jeu : “Le labné est la nourriture préférée de Manuel, qui a le vice d’acheter des domaines qui correspondent à des mots un peu au hasard… maintenant peut-être que je choisirais autre chose, mais Labna, le labné, sonne bien, c’est court et sympathique”.
Vous êtes arrivé à la cuisine avant la création du blog ?
Oui, Bien sûr. J’ai une maman qui cuisine bien, c’est quelque chose qui nous amuse toutes les deux. En fait, on s’est toujours disputé sur la cuisine. Puis, avec Manuel Kanah, nous avons commencé à organiser des cours de cuisine. D’abord au niveau communautaire, à Milan : des activités pour les jeunes, ou à l’occasion des fêtes, pour le shabbat. Puis, comme ils ont réussi, nous avons également organisé des cours pour les autres, à l’extérieur, et, par conséquent, nous avons ouvert notre blog. C’était surtout cela, au début : une sorte d’archive de nos recettes, afin que ceux qui avaient essayé de faire quelque chose avec nous puissent ensuite les retrouver facilement.
Et au début, il n’y avait pas de but précis…
Absolument pas. Mais à un certain moment, il est devenu évident que les recettes juives suscitaient davantage d’intérêt. A l’époque, il n’y avait pas beaucoup de blogs, c’était en 2009, le style général était celui des journaux intimes. Les questions sur les choses juives ont continué à arriver, et Labna a commencé à avoir la réputation de “blog des choses juives”. Nous nous sommes contentés de suivre quelque chose que nous n’avions pas prévu, fondamentalement parce que c’était ce que demandaient les lecteurs.
Vous sentez-vous comme un point de référence ?
Nous nous sommes retrouvés à l’être, malgré nous, pour beaucoup qui ne savaient rien du judaïsme et de la Communauté juive. Des personnes qui se sont rapportées à nous avec une curiosité authentique, aussi parce que puisque les juifs italiens ne sont pas particulièrement religieux, ou ne le sont pas de manière visible. Les occasions de poser ces questions qu’ils ont commencé à nous poser sur les Juifs italiens et le judaïsme, sur les traditions et les fêtes, manquent. Nous sommes la représentation culinaire des juifs… Je ne me sens pas très représentante, mais ce rôle m’est arrivé. Et j’essaie toujours d’expliquer les choses clairement, comme je le fais pour les recettes. Puis, le blog a suscité encore plus d’intérêt, et de nombreuses occasions de travailler avec d’autres personnes sont nées, comme par exemple la collaboration avec Miriam Camerini pour son livre Ricette e Precetti.
Et l’idée d’écrire votre propre livre, comment est-il né ?
J’aime penser qu’il y a un moment précis où j’ai décidé. ” Je voulais préparer les biscuits de Pesach, j’ai commencé à bavarder avec une dame, puis avec une autre, et tout à coup, j’ai eu peur que les recettes ne soient pas transmises. À Venise, par exemple, peu de gens en font, une fois par an. Là, j’ai commencé à penser que les recettes pourraient être perdues : dans quelques générations, elles pourraient être perdues. Il est très important de garder une trace de comment ils devraient être, en les photographiant par exemple.
Et ce n’est pas seulement pour les biscuits de Pesach.
Évidemment. Le jambon d’oie, par exemple, il me semble qu’il y en a deux qui savent le faire. Je parle de personnes qui peuvent le faire à la maison, en achetant (ou en élevant) une oie. Ce sont des traditions de valeur, peu documentées et qui risquent d’être perdues irrémédiablement, alors je me suis demandé si cela pouvait avoir un sens d’en faire un livre. Je me suis rendu compte par exemple qu’il existait déjà quelques volumes en anglais, mais ils ne sont pas représentatifs de la variété et de la richesse de la cuisine juive italienne. Avec les beaux livres italiens, vous ne pouvez pas vraiment cuisiner, ils sont faits pour ceux qui connaissent les saveurs, les parfums et savent quel doit être le résultat.
La solution ?
Recueillir, documenter autant que possible… je suis allée au Cdec, le Centre de documentation juive contemporaine de Milan. Et j’ai discuté pendant des heures avec de nombreuses femmes âgées de différentes communautés. Mais cela ne suffit pas : si je n’avais pas eu un super éditeur, j’aurais probablement écrit d’une manière qui aurait rendu tout cela inutile.
C’est-à-dire ?
Il y a une discipline dans l’écriture des recettes. J’ai dû m’imposer une rigueur que je ne connaissais pas. En Italie, j’aurais peut-être pu tenir plus de choses pour acquises, mais je n’en suis pas si sûre. Et aux États Unis, il y a une conception différente du travail : il y avait un vrai groupe de travail, tout le monde a contribué au produit final. Le résultat est meilleur, en travaillant ainsi, il y a plus d’yeux, plus de contrôles, et même plus de soins…
Y a-t-il quelque chose que vous auriez aimé voir différent dans le livre ?
Oui, en effet. J’aurais aimé mettre plus de photos. Les images sont d’une grande aide lorsque vous n’êtes peut-être pas sûr du résultat. Mais il y a des recettes qui viennent de presque toute l’Italie, certaines, je ne pense pas que les gens sachent qu’ils ont une origine juive. Il y a beaucoup de matériel sur la grande influence des Juifs sur la cuisine italienne, même pour des recettes qui ne sont pas considérées comme traditionnellement juives. Ils racontent comment les deux cultures se sont entremêlées et j’aimais l’idée de revendiquer leur identité. Et à la fin, tout ce matériel est devenu un livre, même si ce n’était pas ce que je voulais écrire au debut, j’aurais voulu faire quelque chose sur la cuisine juive libyenne, celle de ma maison.
Et donc ?
Ici, tout le monde pense que combiner la cuisine juive (ashkénaze) et la cuisine italienne doit nécessairement conduire à un excellent résultat, il ne peut y avoir de meilleure combinaison, ils le considèrent comme évident… Et pour mon éditeur, ça a dû paraître une niche intéressante. Et je le sentais comme une urgence, quelque chose qui avait du sens d’un point de vue culturel.
Comment le livre a-t-il été accueilli ?
Nous sommes encore en phase de lancement, il est trop tôt pour le dire, mais c’est fou à quel point la culture, les choses italiennes, toutes aiment ici.
A votre avis, le judaïsme a-t-il le même intérêt ?
Absolument, et il faut dire que les Juifs américains se sentent très obligés de se soutenir mutuellement. Il y a beaucoup d ‘”enthousiasme juif”, en un sens, et de la cuisine italienne a déjà été beaucoup écrit, l’aspect juif attire en quelque sorte plus. Et beaucoup s’étonnent qu’il y ait des Juifs en Italie… Ils n’en savent rien, à la limite ils connaissent les artichauts alla giudia, qu’ils m’ont obligé à mettre en couverture.
Tu ne me dis pas que tu n’aimes pas les artichauts ?
Non, mais il y a des choses beaucoup plus intéressantes que les artichauts, qui sont devenus si viraux. J’aurais choisi quelque chose que j’aime, pas nécessairement un plat connu. Parmi celles spécifiquement italiennes, je pense que j’aurais choisi le stracotto, vous le faites cuire et le laissez là… C’est parfait pour le shabbat, vous pouvez peux nous faire mille choses. Le lendemain est excellent, et avec les restes, vous pouvez toujours assaisonner une pâte. C’est un plat généreux. Comme il se doit !

Traduction d’Alice Pugliese, révisée par Onda Crofiglio, étudiantes à l’École Supérieure de Langues Modernes pour les Interprètes et les Traducteurs de l’Université de Trieste, stagiaires dans le bureau du journal de l’Union des communautés juives italiennes – Pagine Ebraiche.